Une bouteille à la mer

Article : Une bouteille à la mer
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3 novembre 2013

Une bouteille à la mer

Pour mon premier article, je pensais parler des enfants nomades, des enfants de troisième culture, expliquer qui ils sont. Mais ce soir, j’ai envie de pousser un coup de gueule, un cri du cœur.

Avec les réseaux sociaux, on a vu naitre une nouvelle culture du paraître. C’est à qui montrera le plus de photos de voyages, les plus de photos de soi heureux, entouré d’un tas d’amis souriants. Et avec la mode du développement personnel, on a vu apparaître de véritables gourous de la réussite. Les états d’âme ne sont plus permis, l’échec encore moins. C’est la méthode Coué : à force de se dire que le monde est beau, et en le montrant au plus grand nombre, peut-être qu’alors, il le sera. Un bonheur affiché sur les écrans pour oublier que non, tout ne va pas bien. Oui, pourquoi se focaliser sur ce qui ne va pas quand il suffit de fermer les yeux sur ce qu’il se passe autour de nous ?

On se gave de belles images et en attendant, on oublie la vraie vie. Celle qui se vit, et non pas celle qui se montre. Car oui, quand je regarde les photos de Pierre à la plage, de Paul qui mange un hamburger dans le dernier restaurant à la mode ou de Jacques et de ses enfants si drôles, si intelligents, j’oublie la dizaine de sans-abris que j’ai croisés dans le métro aujourd’hui. Si tant est que je les ai remarqués. J’oublie qu’en ce moment, c’est la guerre en Syrie. Déjà 120 000 morts depuis le début des combats en mars 2011. J’oublie que depuis 2008, le Grèce est en faillite. Que plus d’un quart de sa population active est au chômage. J’oublie la folie de ces personnes aux Etats-Unis, qui un jour prennent une arme et tuent, sans distinction, tout ce qui bouge devant eux. J’oublie qu’en Russie, le Parlement veut débattre d’une loi pour retirer leurs droits parentaux aux homosexuels. J’oublie qu’il y a une dictature en Corée du Nord, et qu’à cause des pénuries alimentaires, les plus pauvres se sont nourris d’herbe ou d’écorces d’arbres pour survivre. Et j’oublie qu’en Somalie, c’est la sécheresse, et qu’entre 2010 et 2012, 258 000 personnes sont mortes de faim.

Alors, oui, je sais.  J’entends déjà les répliques : « Si on pense à tout ce qui va mal, on ne vit plus. Autant abandonner tout de suite ». Sauf qu’on oublie aussi beaucoup d’autres choses.

J’oublie qu’au Myanmar, une femme a passé 15 ans en liberté surveillée et en prison pour s’opposer à la junte militaire. En 1997, son mari, qui vit au Royaume-Uni avec leurs deux enfants est atteint d’un cancer. Aung San Suu Kyi n’a pas le choix, si elle quitte son pays elle ne pourra plus y revenir. Alors elle reste. Elle ne le reverra plus jamais. J’oublie qu’un homme, que son peuple appelle affectueusement Madiba a passé 27 années en prison. Son crime : vouloir lutter contre la ségrégation raciale. J’oublie qu’en Russie, deux femmes membres des Pussy Riot ont été condamnées à deux ans de travaux forcés pour avoir utilisé leur art comme forme de contestation. Et qu’une des deux, a disparu depuis 13 jours. J’oublie que depuis juin, les Brésiliens manifestent pour améliorer leur système. Oui, j’oublie toutes ces personnes qui font abstraction des choses du quotidien pour se consacrer à une plus grande cause, pour se consacrer aux autres. Et ça, c’est vraiment dommage.

Je ne dis pas qu’il faille oublier de vivre pour soi. Tout le monde n’a pas les épaules de ces personnalités citées ci-dessus. Moi la première. Mais c’est pour cette raison qu’il existe des gens prêts à nous rappeler tout cela. Ils nous informent, nous font lever la tête du guidon et nous font relativiser les petits tracas du quotidien. Ces personnes vont au plus près de l’information, parfois en risquant leur vie.

Rien qu’en 2013, Reporters sans frontières a recensé la mort de 43 journalistes et de 25 net-citoyens et citoyens-journalistes. Sans oublier les 184 journalistes et les 157 net-citoyens emprisonnés à cause de leurs activités. Et ces chiffres viennent encore d’augmenter. Aujourd’hui, le samedi 2 novembre, deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été enlevés à Kidal, dans le nord du Mali, puis exécutés peu de temps après. Leurs corps ont été retrouvés criblés de balles, à 15 km de la ville. Il n’y a pas de mots pour exprimer l’indignation que suscite cette terrible nouvelle. Sauf peut-être de rappeler que sans journalistes, il n’y a pas de démocratie. Et que cette dernière vient encore de perdre deux de ses porte-paroles.

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Commentaires

Aurore
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J'aurai presque envie d'aller crier ton billet en bas de chez moi ! Parfait !

Kate H.E.
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Merci beaucoup Aurore. C'est vraiment une envie de crier que j'ai ressentie en apprenant cette terrible nouvelle.

Nora
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Merci à toi Aurore pour cet article très parfait et complet! Merci de nous rappeler ce que nous ne devons pas oublier: une pensée quotidienne à toutes ces personnes qui souffre quelque part dans le monde sans savoir souvent pourquoi eux?!!

On n'est pas meilleur à eux mais pourquoi eux? La réponse certainement que je ne l'ai pas; juste je ne peux que compatire!

Ton article m'amène à nous dire qu'autant que cela dépend de nous, apportons notre contribution aux personnes vulnérables dans nos communautés pour commencer!

Un soutien moral ou finanicer, un sourrire sincère; un conseil; c'est cela aussi la solidarité!